"Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, dans quelques
instants notre train entrera en gare de Granville son terminus; veuillez vous
assurer…..". En ce jeudi de février, le TER 3451 en provenance de
Paris-Montparnasse termine lentement sa course à quelques mètres du heurtoir de
la voie E et me dépose sans bruit sur le quai après 3h10 de voyage; il est
22h45 : Granville à plus 3h de Paris, charme délicat d'un désenclavement qui
tarde à venir. La ville et le port, dont les bruits sont assourdis par l'épais
brouillard, semblent dormir. Négligeant le hall principal où s'engouffrent les
rares voyageurs je me glisse hors de la gare par la petite barrière latérale
qui dessert le parking. Il est là à quelques centaines de pas, derrière la
rangée d'arbres. L'éclairage public au sodium renforce le jaune et l'ocre de sa
façade nouvellement ravalée mais le style et l'enseigne évoquent une époque
florissante d'avant guerre et l'ensemble fleure bon "les vacances de
Monsieur Hulot". HOTEL TERMINUS !
Je ne suis là que pour une nuit; fuyant la modernité des
hôtels standardisés et craignant l'absence de taxi à l'arrivée, j'ai choisi ce
petit hôtel par commodité. Quel plaisir !
Il faut dire que, réfutant l'asepsie des chaînes hôtelières,
j'ai été replongé dans quelques vieux souvenirs d'hôtels pittoresques
rencontrés au fil de mes débuts de jeune entrepreneur soucieux de ses frais de
déplacement ! Qui n'a déjà goûté au charme désuet d'un petit hôtel de province
? Le pittoresque a commencé dans le train par un message sur mon portable : "…je
vous appelle pour vous dire qu'on va fermer un peu plus tôt mais il n'y a pas
de soucis, on va vous laisser …"; s'en suit un explicatif détaillé de la
manière d'accéder à …ma chambre ! Je rappelle aussitôt pour accuser réception
et confirmer mon arrivée tardive. L'accueil est charmant et, justement, je
tombe bien :
- …et demain matin vous prenez un petit déjeuner ?
- Oui !
- Silence…Euh! Bon, alors vers quelle heure ?
- 8h … (percevant une légère tension) … si c'est possible
- nouveau silence - disons 8h30 si vous préférez, mon premier rendez-vous est
en milieu de matinée;
- C'est très gentil, vous comprenez, avec les enfants à
amener à l'école…disons 8h1/2, 9h moins le quart !
- …..
Suivant la procédure qui m'a été communiquée, j'entre dans hôtel
apparemment vide. Tout est sombre, seule la lueur du réverbère, pénétrant par
une fenêtre de l'entrée, éclaire faiblement le couloir menant à ma chambre.
Petit bonheur, le temps est suspendu, pas un bruit, j'ouvre la porte. Tout y
est, le papier peint à grands ramages gris et vert pâle en forme de palmiers, le
dessus de lit qui avale le regard dans son écossais vert à rayures jaunes, le
sous-verre juste au dessus du lit dans lequel s'étire, imprimé sur un papier
jaunissant, un bouquet passé de Rosa Centifolia, la petite table, étroit bureau
de chaque coté duquel se tassent une chaise et un fauteuil en "skaï"
rouge du meilleur effet; les tables de nuit qui, simples plaques de verre
reposant sur un piétement en fer forgé torsadé, encadrent une tête de lit rapportée
en bois laqué. Si n'était la petite télé reposant sur une console murale à
hauteur d'homme, j'aurai pu me croire transporté dans les années soixante.
Literie excellente, la nuit – sans bruit – est bonne. Petit
matin au son des mouettes. A l'heure dîtes je me présente à la salle à manger.
Par chance elle est allumée. Je ne sais plus si je suis à hôtel ou chez
l'habitant. Je croise dans l'entrée le chien, gros dogue apathique, qui me gratifie
d'un regard blasé, sans daigner tourner la tête alors que le chat, jeune tigre
roux miaule en bondissant d'un fauteuil à l'autre. J'entre. La pièce, dont le
plafond, orné de moulures, s'évade à plus de trois mètre, est encombrée d'un
bric à brac à la Prévert. La cheminée accueille pour l'hiver des jardinières de
pélargonium en phase avancée de déshydratation; un magnifique aquarium trône
sur une desserte sans style à coté d'une armoire réfrigérée, marquée aux armes
de Coca Cola et dont le ronflement grave couvre quasiment les miaulements du
chat. Les Duplo, Lego et autres jouets PlaySchool se mêlent à la décoration de mer
où libettes, rames, maquettes de thoniers et trois mâts côtoient le port de
Bordeaux en 1832 au lever du jour (inoubliable) et un fusain (non moins
remarquable) du Marquis de Tombelaine de retour de la pêche. Aucune table
dressée pour un petit déjeuner. Je
ressors, frappe à la porte de la cuisine… "Ah! Vous êtes déjà là" me
dit mon hôtesse le sourire au lèvre, "je ne suis pas prête ! Cinq minutes;
juste cinq minutes". Je reviens m'asseoir à la table centrale; j'attends.
Le petit déjeuner est classique, si j'excepte l'impatience
du chat et sa détermination à s'accrocher à la nappe à la volée dans le but
évident d'en vider le contenu….Il suffit de hausser le ton pour que le félin,
sans se calmer, cesse d'en vouloir à mon petit déjeuner mais c'est sans compter
sur le chien qui, l'œil noir, vient nonchalamment se placer en travers de la
porte en s'assurant que tout se passe bien… pour le chat! Formidable !
Hôtel Terminus : un havre de paix, un petit bonheur, une
tranche de vie douce et réconfortante comme une rosée de printemps.
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