Le dauphin est un animal doué de raison. Mammifère sympathique et dévoué, il nage en eau claire mais sait se sortir des situations difficiles et des eaux troubles. Il ne craint pas les requins dont il se défend avec intelligence. Rarement solitaire, joueur mais raisonnable, il s'intègre facilement et participe à la vie et à la protection du groupe au sein duquel il communique aisément. Le dauphin, souvent dans le sillage du plus âgé, est capable d'apprentissage; serviteur efficace, bon technicien, habile, il sait prendre l'initiative, s'adapter et transformer la situation au profit du groupe. Il ne lui manque que la parole pour profiter pleinement du monde extérieur.
Le dauphin c'est aussi celui qui est appelé à régner. Successeur formé à l'école du Maître, il conforte ses connaissances par des formations externes avant d'endosser le lourd manteau royal chargé d'histoire. Il connaît bien l'entreprise, ses fournisseurs, ses clients, son marché. Il y est bien intégré puisqu'il y travaille depuis plusieurs années.
Tout allait bien, avec les aléas du quotidien bien sûr; mais qui n'en a pas. Bon professionnel, encadrant une équipe compétente et réactive, le dauphin s'installait depuis quelques temps dans une routine ankylosante. La quarantaine passée, il commençait à s'interroger. Encore quelques années à cotiser avant la retraite et le sentiment, les enfants grandissant, de pouvoir apporter autre chose dans sa vie et pour sa carrière que cette routine infiltrante, rampante. Rien de négatif dans tout cela, mais simplement une envie de changement…prendre un virage, bien le négocier pour voir autre chose, aller plus loin.
Et puis il y a eu ce lundi matin, la prise de conscience, brutale. Le sentiment idiot de n'avoir pas vu "le coup venir"… depuis le temps, c'était pourtant évident ! Un bruit de couloir, une rumeur : "tu sais, il parait que le patron à fêté ses soixante au week-end !?!". Évidement, il le savait. Mais ce matin cette phrase raisonne dans sa tête. Soixante ans…! "C'est cinq ans devant nous dans le meilleur des cas avant d'être rachetés. Trente ans que le Boss à créé cette boite. Trente ans qu'il y a tout donné. Rachetés ? Pas si sûr ! Le marché est local, le développement aussi, qui peut-on intéresser ? Quelques concurrents sur la place ? Ils sont plutôt enclins à nous voir fermer que de nous reprendre. Et pourtant elle tourne bien cette boite."
De semaine en semaine, l'idée taraude, s'insinue, enfle : Pourquoi pas lui ? La pensée joue au yoyo, fait le grand écart.
Après tout, après quinze ans de boite ça ne doit pas être si compliqué. Oui mais s'il connaît bien la technique, la compta' c'est pas son truc. Et les capitaux ? Et la famille, comment vont-ils prendre ça ? Leur expliquer que le patron va partir et que pour que l'entreprise continue son activité il va la racheter… rien que ça c'est pas évident !
Non ! Il va chercher ailleurs, c'est décidé. Un bon profil, un CV solide, il a fait ses preuves, une expérience professionnelle d'encadrement; il doit pouvoir trouver. Après tout il n'est pas marié avec la boite ni avec le patron. Oui mais alors c'est maintenant ! Dans cinq ans il approchera de la cinquantaine…plus difficile de retrouver quelque chose. Et si il ne trouvait pas dans le coin ? Il faudrait déménager, il y a la maison, les enfants…
Le dauphin tourne en rond. Des semaines qu'il est enfermé dans le bocal de ses interrogations. Il faut qu'il sorte, qu'il ait une explication. La porte du bureau du patron est entrouverte; la pousser, maintenant !
Deux heures, deux petites heures pour sceller l'avenir ! Deux heures pour découvrir que le patron aussi est rongé par la question de sa succession à la tête de l'entreprise, par son départ en retraite, la vente de cette boite qu'il a monté à la force du poignet. Deux heures pour comprendre que lui, le patron, ne peut pas en parler facilement. Les concurrents vont jaser et faire courir volontairement ou involontairement les bruits les plus perfides. Les fournisseurs vont redoubler de vigilance, peut-être réduire leur crédit. Les clients vont prendre peur. Et le banquier, dieu seul sait quelle réaction il peut avoir. Il le connaît bien, pas de problème, la banque l'a toujours suivi, mais demain ? Et puis c'est dur de lâcher un enfant, son enfant. Partir en laissant les clés à un autre qu'il ne connaît pas ou pire fermer s'il n'y a pas de repreneur, pour prendre sa retraite alors que cette boite c'est toute sa vie…ce serait trop dur !
Alors quoi ?
Alors, Le dauphin est un animal doué de raison et le patron, le Maître (au sens noble) un homme sage.
La solution est là, entre leurs mains : une transmission en douceur, étalée sur quelques mois (18 à 24 mois pas plus), un passage de relais. Le dauphin va être intronisé officiellement, en interne puis auprès des tiers, il va se former à la direction générale d'une PME et prendre connaissance des dossiers en cours et à venir. Il va avec le banquier, l'expert comptable et pourquoi pas le notaire ou l'avocat, préparer son plan de reprise; en cohérence avec les souhaits du patron et les besoins de l'entreprise. Ensemble, les membres de cette petite équipe vont travailler sur les aspects fiscaux et patrimoniaux concernant le patron cédant, les conditions financières et de développement concernant l'entreprise et le dauphin repreneur. Un passeport pour la réussite.
A l'homme sage on offre la tranquillité d'une retraite méritée, la force d'une nouvelle vie. Au dauphin, il ne manquait que la parole : on la lui donne. Il va pouvoir pleinement s'exprimer et construire l'avenir, son avenir et celui de l'entreprise.
Le challenge est d'importance mais l'aventure vaut la peine d'être tentée.
Aujourd'hui elle parait lointaine, demain c'est toute l'économie de nos régions qui sera concernée. Pensons-y, l'aventure est à portée de main.
cool :)..
Rédigé par : guile | juin 29, 2005 à 08:59